samedi 1 octobre 2011

Lettre aux inconnus

J'aurais pu être un ouvrage rédigé soigneusement à la plume de paon, d'une calligraphie impeccable; un joli conte classique. Pas de mots hachurés, les marges définies avec soin. Des feuilles capitonnées de phrases préfabriquées, cette histoire que tant de personnes aiment bercer. Un beau livre relié d'une couverture de cuire ambré dont les pages, conçues avec des feuilles de cerisier, n'avaient pas encore été jaunies par le temps. Un roman rédigé selon le modèle prototype, des gentils, des méchants, des pages blanches tachées par des mares d'encre noir. Jamais de nuances, jamais de gris. Bref, du remâché, du prévisible, aucune authenticité, aucune volonté.

Je prie un Dieu en lequel je ne crois pas pour ne jamais devenir un bouquin aussi emmerdant. Je suis griffonnée, barbouillée de taches de café. J'ai quelques pages chiffonnées, d'autres carrément déchirées. Mes chapitres varient en longueur, celui de l'amour est particulièrement mal construit et à retravailler. Parfois, j'ai l'impression que l'histoire s'éternise alors que, à d'autres moments, les pages filent à vive allure.

Il y a cette section, quelques feuilles d'un blanc cassé, propres, vides, écrites à l'encre invisible; mon recueil de deuils. Des pages immaculées, par souci de transparence, par crainte de ne pas être à la hauteur d'un défunt autrefois chéri ou d'époques révolues. Le deuil, c'est à la fois ma source inépuisable d'inspiration et ma hantise.

Il y a aussi des phrases inachevées, raturées, des boutures d'histoires jamais complétées. Il y a un ou deux mots en suspens, il y a l'attente, le désir, mais aussi la répulsion, le dégoût. En marge du texte principal, on peut parfois lire quelques versets incantant l'espoir, aussi minime soit-il; des mots endormis, écrits dans les ténèbres d'une nuit blanche.

J'ai envie d'assumer mon livre et de vous le raconter.

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